André Breton a conservé les lettres que Nadja lui a adressées, une trentaine. Il est émouvant de parcourir ces missives et de les rapporter au livre, de lire une même histoire selon un angle différent, de retrouver sous la plume de la jeune femme certains éléments évoqués dans le texte de Nadja, de suivre l'évolution de la relation entre les deux amants, depuis l'enthousiasme des débuts jusqu'aux déchirements de la fin (le thème du cahier que Breton tarde à restituer et qui finit par être le dernier trait d'union entre eux auquel elle puisse se raccrocher), avec en toile de fond, la misère et la recherche d'un logement.

Cette correspondance est rédigée sur différents supports : petits billets bleus pour les pneumatiques, pages de cahiers ou de carnets, papiers à en-tête de cafés ou d'hôtels... On peut suivre les errances de Nadja à partir des rendez-vous qu'elle fixe à Breton et des en-têtes : logeant successivement dans deux hôtels (d'abord l'hôtel du théâtre, rue Chéroy (17ème) puis à l'hôtel Becquerel, rue Becquerel (18ème)), elle gravite autour de ces points de repère dans les cafés des environs.

Pour l'approximative transcription qui est donnée ici, les accents (le plus souvent absents) ont été ajoutés pour faciliter la lecture, mais les erreurs d'orthographe n'ont pas été corrigées (l'un des mots de ces lettres qui revient le plus souvent est "souffle", écrit "soufle"). Pour la ponctuation, Nadja utilise un signe (un trait _) qui fait office de virgule, de tiret, ou de point (l'interprétation peut varier selon les contextes, les choix sont subjectifs) ; ce signe est doublé pour ce qu'on a supposé représenter des ... Toute remarque ou déchiffrage de mots peu lisibles seront bienvenus.

Toutes les lettres ne sont pas datées ; il est possible de situer plus ou moins précisément dans le temps l'une ou l'autre grâce à divers indices (un jour de la semaine, le quartier où le texte a été rédigée, l'état de la relation entre Nadja et Breton...) mais l'ordre donné ici ne l'est qu'à titre indicatif.

Lettre 1 Date : 09/10/1926 [pneumatique]

Paris le 9/10/26
André,
J’ai bien des choses à vous dire, venez m’écouter cet après-midi… ou plutôt vers 5h ½ au petit café… Rue Lafayette !
Il y a malentendu entre nous… je vous expliquerai. Je veux vous revoir.
Nadja
[écrit dans le coin supérieur gauche :] Tous les jours à 5h ½ petit café mais sûrement aujourd’hui.
Signature inconnue.

Lettre 2 Date inconnue [mi-octobre 1926 ?]
Paris…
Mon chéri,
Le chemin du baiser était beau n’est-ce pas… et satan fut si tentant… mais qu’est-ce que cela après avoir passé une nuit noire… noire ?... ou blanche ! vraiment je ne sais plus… Mais je redescends toujours seulette l’escalier qui conduit au bonheur… alors une émotion... « il y en a tant » - m’étreint et j’ai le vertige… Dehors je suis automatiquement le trotoir qui conduit à la tombe… Certes… elle est là exprès… Douce vision enflammée de ma vie.
Peut-être encore que mes pas cadansés intriguent ces inconscients aux moqueurs regards et qui m’agacent moi qui n’ai vraiment nulle envie d’attirer l’attention et qui m’en vais… l’âme vidée, comme un trou noir aplani par le ravage de… ? la conscience qui se livre au néant. L’enchantement de la fatale destinée confiée à l’au-delà !... vivre déjà un peu d’éternité.
Néant commencement de tout, au-dessus de tout, comme j’aime te ressantir, comme je me livre à ta force qui est aussi la fin de tout.
Nadja (comprends-tu ?)
Si vous désirez me revoir, prévenez moi le matin.
Je vous embrasse tendrement.
Nadja.

Lettre 3 Date inconnue
Mon André, je t’aime tu le sais, mais ne m’appelles pas trop... Ça m’ôterait le courage. Je suis à toi comme jamais. Je te sens...
Tu vis en moi, mais ne m’accapare pas trop. Tu sais si bien que ta griffe laisse des traces comme ta pensée qui me plonge dans les ténèbres.
Je veux vivre pour toi qui est tout mon avenir. Desserres l’écrou du mystère.
Que les pas de ton être soient plus légers que ceux de ton fantôme. J’ai rêvé d’un collier de perles de la forme de tes dents. Un éclair de beauté dans la force de l’espoir.
Ta Nadja.
Lettre 4 Date inconnue [Papier à en-tête du café WEPLER, 14 place Clichy]
Mon André,
C’est fort quand je suis seule j’ai peur de moi-même… Quand tu es là… le ciel est à nous deux… et nous ne formons plus qu’un… rêve si bleu… comme une voix azurée, comme ton soufle.
André je t’aime. Pourquoi dis, pourquoi m’as-tu pris mes yeux.
Ta Nadja
Le lendemain
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