La dernière édition de Nadja comporte 49 illustrations qui se répartissent ainsi : 16 photographies de lieux, 7 portraits et 1 montage photographique à partir des yeux de Nadja, 10 dessins de Nadja, 5 reproductions de textes divers, 4 de tableaux, 5 objets ou œuvres d’art, 1 photographie prise lors d’un spectacle théâtral.
Fonction des images

Remplacer les descriptions de lieux, de personnes ou d’objets

L’image joue un rôle de premier dans la création des Surréalistes. L’Avant-Dire de Nadja, écrit en 1962, définit la fonction des photographies comme un impératif « anti-littéraire » : « […] l’abondante illustration photographique a pour objet d’éliminer toute description – celle-ci frappée d’inanité dans le Manifeste du surréalisme [...] » (p. 6) La première fonction des images, par rapport au texte, est donc de remplacer les descriptions.
En effet, pour Breton, les descriptions sont dépourvues d’intérêt et superficielles. Comme il s’en explique dans le Manifeste, elles l’ennuient et il refuse de les lire ; pour lui, elles n’ont d’autre justification que l’arbitraire de l’auteur et l’on a vu sa suspicion envers toute forme de contrôle conscient de l’acte d’écrire. La traque du réel ne peut tolérer cette forme de subjectivité gratuite.

[…] Et les descriptions ! Rien n’est comparable au néant de celles-ci ; ce n’est que superpositions d’images de catalogue, l’auteur en prend de plus en plus à son aise, il saisit l’occasion de me glisser ses cartes postales, il cherche à me faire tomber d’accord avec lui sur des lieux communs :

La petite pièce dans laquelle le jeune homme fut introduit était tapissée de papier jaune : il y avait des géraniums et des rideaux de mousseline aux fenêtres ; le soleil couchant jetait sur tout cela une lumière crue… La chambre ne renfermait rien de particulier. Les meubles, en bois jaune, étaient tous très vieux. Un divan avec un grand dossier renversé, une table de forme ovale vis-à-vis du divan, une toilette et une glace adossées au trumeau, des chaises le long des murs, deux ou trois gravures sans valeur qui représentaient des demoiselles allemandes avec des oiseaux dans les mains — voilà à quoi se réduisait l’ameublement [Crime et châtiment, Dostoïevski].

Que l’esprit se propose, même passagèrement, de tels motifs, je ne suis pas d’humeur à l’admettre. On soutiendra que ce dessin d’école vient à sa place, et qu’à cet endroit du livre l’auteur a ses raisons pour m’accabler. Il n’en perd pas moins son temps, car je n’entre pas dans sa chambre. La paresse, la fatigue des autres ne me retiennent pas. J’ai de la continuité de la vie une notion trop instable pour égaler aux meilleures mes minutes de dépression, de faiblesse. Je veux qu’on se taise, quand on cesse de ressentir. Et comprenez bien que je n’incrimine pas le manque d’originalité pour le manque d’originalité. Je dis seulement que je ne fais pas état des moments nuls de ma vie, que de la part de tout homme il peut être indigne de cristalliser ceux qui lui paraissent tels. Cette description de chambre, permettez-moi de la passer, avec beaucoup d’autres.

Le Manifeste du Surréalisme, pp. 17-18.

Nadja comporte une quinzaine de photographies de lieux, principalement des paysages urbains, comme la librairie de L’Humanité (p. 70), le café de La Nouvelle France (p. 86) ou le Sphinx-Hôtel (p. 121). Chaque fois que le récit s’attarde dans un lieu, une photographie vient illustrer le texte, à la manière d’une description, ce qui produit un effet d’objectivité, de véracité que l’écrit ne garantirait pas : la parole de l’écrivain ne peut être remise en doute puisque l’image photographique ne ment pas.

Mais paradoxalement pour le lecteur moderne, ces vues du Paris dans les années vingt paraissent bien anciennes et pittoresques ; leur grain, leurs tons de gris ont un charme désuet de film d’avant-guerre que Breton n’avait évidemment pas désiré.


La librairie de l'Humanité, p. 70.


La Nouvelle France, p. 86


Le Sphinx-Hôtel, p. 121.

Les photographies se substituent également aux descriptions physiques de plusieurs personnages. On trouve ainsi les portraits de trois poètes amis, Paul Éluard (p. 29), Benjamin Péret (p. 32), Robert Desnos (p. 34), ainsi que de Blanche Derval (p. 56), de Mme Sacco (p. 91), du professeur Claude (p. 162) et de Breton lui-même (p. 174). Grâce à ces images, le lecteur peut contempler le visage derrière le nom, les personnages cessent d’être imaginaires pour prendre vie et obéissant à la convocation de Breton, remplissent le livre de leur présence.

Un seul portrait photographique manque, bien que Breton le possédât (redécouvert récemment), c’est celui de Nadja : pour protéger la jeune femme (et aussi, pour protéger son mystère), il ne l’a pas intégré dans son œuvre autrement que sous la forme d’un montage (p. 129).


Paul Eluard, p. 29.


Benjamin Péret, p. 32.


Blanche Derval, p. 56.

Enfin, plusieurs objets sont aussi représentés, comme le curieux cylindre démographique (p. 61) – qui est pourtant décrit assez précisément p. 62 – ou le gant de bronze (p. 66).


Le cylindre démographique, p. 61.


Le gant de bronze, p. 66.

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