André Breton

Nadja s’ouvre par une question : « Qui suis-je ? » (p. 9) dont l’écho se prolonge tout au long du texte jusqu’à la page 172 et cette autre question : « Qui vive ? » Le livre entier est aussi une tentative de réponse à cette question. Mais comme il explique dès l’incipit, le travail autobiographique est difficile et tout se passe comme s’il était un « fantôme » qu’il cherche à apercevoir : « ce que je tiens pour des manifestations objectives de mon existence, manifestations plus ou moins délibérées, n’est que ce qui se passe, dans les limites de cette vie, d’une activité dont le champ véritable m’est tout à fait inconnu. »
Puisqu’il tient la psychologie pour suspecte, Breton décide d’employer une autre « méthode » pour se connaître et se raconter. Selon l’approche surréaliste, il enregistre plutôt qu’il n’analyse, il transcrit directement plutôt qu’il ne glose : observateur minutieux de ses propres actes seul et au contact de Nadja, il tente en outre de se voir au travers du regard de la jeune femme.

La relation entre Breton et Nadja

La rencontre de Breton avec Nadja est celle de deux déambulations. Dès le premier regard, la fascination semble réciproque. Elle s’éprend passionnément de lui comme en témoignent quelques phrases qu’il conserve d’elle :

« Avec la fin de mon souffle, qui est le commencement du vôtre. »

« Si vous vouliez, pour vois je ne serais rien, ou qu’une trace. »
[...]
« Tu es mon maître. Je ne suis qu’un atome qui respire au coin de tes lèvres ou qui expire. Je veux toucher la sérénité d’un doigt mouillé de larmes. »

(pp. 137-138)

De son côté, Breton est loin de partager une telle vénération, il reconnaît n’avoir pas éprouvé d’amour pour Nadja :

Seul l’amour au sens où je l’entends – mais alors le mystérieux, l’improbable, l’unique, le confondant et l’indubitable amour – tel enfin qu’il ne peut être qu’à toute épreuve, eût pu permettre ici l’accomplissement du miracle.

(p. 159)

D’ailleurs, l'auteur a supprimé des rééditions de Nadja la mention d’une nuit passée tous deux dans un hôtel de Saint-Germain. La position de Breton est autre, c’est celle d’un observateur narcissique, aimanté par une curiosité d’artiste et par une recherche intérieure :

Toute la matinée, pourtant, je me suis ennuyé de Nadja, reproché de ne pas avoir pris rendez-vous avec elle aujourd’hui. Je suis mécontent de moi. Il me semble que je l’observe trop, comment faire autrement ? Comment me voit-elle, me juge-t-elle ? Il est impardonnable que je continue à la voir si je ne l’aime pas. Est-ce que je ne l’aime pas ? Je suis, tout en étant près d’elle, plus près des choses qui sont près d’elle.

(p. 104)

Lorsque Nadja parle trop d’elle-même ou qu’elle se lance dans ses « jeux » incohérents que Breton ne peut pas suivre, il ressent très vite de l’ennui ou même du dégoût :

Il est impatientant de la voir lire les menus à la porte des restaurants et jongler avec les noms de certains mets. Je m’ennuie. (p. 122)

Il m’est arrivé de réagir avec une affreuse violence contre le récit par trop circonstancié qu’elle me faisait de certaines scènes de sa vie passée, desquelles je jugeais, sans doute très extérieurement, que sa dignité n’avait pu sortir tout à fait sauve. Une histoire de coup de poing en plein visage [...] faillit même, au début de l’après-midi du 13 octobre, comme elle me la contait sans raison, m’éloigner d’elle à jamais. (p. 134)

Plus tard, alors qu’il s’est éloigné d’elle, sa réaction lorsqu’on lui annonce que Nadja a sombré dans la folie, témoigne d’une certaine culpabilité qu’il élude immédiatement en se lançant dans une violente diatribe contre la psychanalyse et le système psychiatrique :

On est venu, il y a quelques mois, m’apprendre que Nadja était folle. [...] D’autres que moi épilogueront très inutilement sur ce fait, qui ne manquera pas de leur apparaître comme l’issue fatale de tout ce qui précède. Les plus avertis s’empresseront de rechercher la part qu’il convient de faire, dans ce que j’ai rapporté de Nadja, aux idées déjà délirantes et peut-être attribueront-ils à mon intervention dans sa vie, intervention pratiquement favorable au développement de ces idées, une valeur terriblement déterminante.

(p. 160)

Breton n’a sans doute pas mesuré la gravité de l’état de Nadja lors de leur rencontre et, conformément à ses idées sur l’art, il l’a encouragée dans ses « idées délirantes ».


André Breton, p. 174.


La bouche de Nadja (inédit)


La bouche de Nadja (inédit)

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