L’image surréaliste
Un autre procédé évoqué par André Breton dans sa définition du mouvement surréaliste est ce qu’il nomme « certaines formes d’associations ». En littérature, l’image est une forme préférentielle d’association, celle d’un comparé et d’un comparant. L’un des principaux apports du Manifeste est à ce titre d’expliquer le fonctionnement de l’image surréaliste. [...] un homme, pour le moins aussi ennuyeux
que moi, Pierre Reverdy, écrivait : (pp. 30-31;p. 48) Cette dernière citation, de Baudelaire, montre bien que l’image est une vision, une hallucination à laquelle on ne peut résister : elle dépasse le cadre de la conscience et de la volonté, et provient justement de cet inconscient tant recherché. Reste à savoir si l’on a jamais « évoqué » les images. Si l’on s’en tient, comme je le fais, à la définition de Reverdy, il ne semble pas possible de rapprocher volontairement ce qu’il appelle « deux réalités distantes ». Le rapprochement se fait ou ne se fait pas, voilà tout. Je nie, pour ma part, de la façon la plus formelle, que chez Reverdy des images telles que : Dans le ruisseau il y a une chanson qui coule offrent le moindre degré de préméditation. Il est faux, selon moi, de prétendre que « l’esprit a saisi les rapports » des deux réalités en présence. Il n’a, pour commencer, rien saisi consciemment. (PP. 48-49) L’image ne peut, selon André Breton, être « forgée » par l’écrivain ; elle s’impose spontanément à lui, telle une lumière violente, une illumination. C’est du reste cette métaphore de la lumière qu’il choisit pour développer sa conception esthétique de l’image. C’est du rapprochement en quelque sorte fortuit des deux termes qu’a jailli une lumière particulière, lumière de l’image, à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles. La valeur de l’image dépend de la beauté de l’étincelle obtenue ; elle est, par conséquent, fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs. Lorsque cette différence existe à peine comme dans la comparaison, l’étincelle ne se produit pas. Or il n’est pas, à mon sens, au pouvoir de l’homme de concerter le rapprochement de deux réalités si distantes. Le principe d’association des idées, tel qu’il nous apparaît, s’y oppose. Ou bien faudrait-il en revenir à un art elliptique, que Reverdy condamne comme moi. Force est donc bien d’admettre que les deux termes de l’image ne sont pas déduits l’un de l’autre par l’esprit en vue de l’étincelle à produire, qu’ils sont les produits simultanés de l’activité que j’appelle surréaliste, la raison se bornant à constater, et a apprécier le phénomène lumineux. (p. 49) |
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La beauté de l’image est ainsi fonction du choc entre les deux réalités qu’elle rapproche. Plus celles-ci seront éloignées, plus le choc, « l’étincelle », sera puissant et beau. Ce rapprochement n’est pas le fait de l’esprit conscient, d’un art littéraire, mais il est fortuit et le procédé de l’écriture automatique permet de le provoquer. Et de même que la longueur de l’étincelle gagne à ce que celle-ci se produise à travers des gaz raréfiés, l’atmosphère surréaliste créée par l’écriture mécanique, que j’ai tenu à mettre à la portée de tous, se prête particulièrement à la production des plus belles images. On peut même dire que les images apparaissent, dans cette course vertigineuse, comme les seuls guidons de l’esprit. L’esprit se convainc peu à peu de la réalité suprême de ces images. Se bornant d’abord à les subir, il s’aperçoit bientôt qu’elles flattent sa raison, augmentent d’autant sa connaissance. Il prend conscience des étendues illimitées où se manifestent ses désirs, où le pour et le contre se réduisent sans cesse, où son obscurité ne le trahit pas. Il va, porté par ces images qui le ravissent, qui lui laissent à peine le temps de souffler sur le feu de ses doigts. C’est la plus belle des nuits, la nuit des éclairs : le jour, auprès d’elle, est la nuit. (p. 49) Le fonctionnement traditionnel de l’écriture
est renversé : la pensée, enfin libérée,
découvre des images qui charment et hypnotisent l’esprit
en lui laissant entrevoir de nouvelles réalités. |
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